Indonésie
On a découvert peu avant la
seconde guerre mondiale, une douzaine de squelettes d'Homo
erectus (terme qui remplace très officiellement
"pithécanthrope") "évolués", c'est
à dire qu'ils présentaient les
caractéristiques essentielles d'Homo erectus (front
bas, fortes mâchoires proéminentes, fortes
arcades sourcilières, forme du crâne
pentagonale et non arrondie vue de l'arrière, etc.)
mais aussi une plus grande capacité crânienne,
proche de la nôtre. Au vu de leur "archaïsme", on
les a d'abord datés de 300 000 ans environ. Ce n'est
qu'en 1996 qu'on s'est avisé, au laboratoire de
Berkeley, d'en faire une datation objective, absolue, par le
dosage des radioéléments (deux méthodes
distinctes). Le résultat : entre 27.000 et 53.000
ans... (San Francisco Chronicle, 13 décembre
1996).
Afrique
Un seul cas, celui de l'Homme "de
Rhodésie" ou "de Broken Hill" (aujourd'hui en
Zambie). Découvert en 1921 dans une exploitation de
zinc, exceptionnellement bien conservé, on l'a
longtemps considéré comme un
néandertalien un peu spécial, vieux d'environ
trente mille ans. C'était déjà à
l'extrême limite du tolérable. Près d'un
demi siècle après sa découverte,
l'anthropologue C.S Coon finit par faire admettre qu'avec
son front particulièrement bas et surtout le contour
arrière de son crâne pentagonal et non pas
arrondi, entre autres, il était plus près
d'Homo erectus, avec simplement un crâne un peu plus
spacieux à l'arrière. Néanmoins,
quelques détails mineurs ont permis de lui coller
l'étiquette Homo sapiens rhodesiensis ("sapiens"
étant de plus en plus remis en cause). Non seulement
il était accompagné d'os d'espèces
animales toutes présentes actuellement dans la
région, mais il avait des dents cariées. Or
cette affection est considérée comme
récente, certains avançant le chiffre de huit
mille ans...
Europe
Dès 1908, l'anthropologue
polonais Kasimierz Stolyhwo a annoncé la
découverte d'un certains nombre d'ossements
"néandertaliens" datant de l'extrême fin de la
préhistoire, voire du moyen âge (à
Poszuswie, en Pologne, qu'il osait attribuer au
dixième siècle de notre ère, et
Novossiolka, près de Kiev, où le squelette
reposait avec des débris d'armure en fer). Personne
ne semble pressé d'en reprendre l'étude. Et
d'autres ont été trouvé depuis entre
autres à Klapeida en Lituanie, en Carélie,
près de Moscou, à Podkoumok (dans le Caucase)
en 1918. Ces derniers, réduits à une calotte
crânienne, ont d'ailleurs bel et bien
été considérés, sans
réserve, par les meilleurs spécialistes de
l'époque, comme néandertaliens. Car on les
croyait datés d'une période convenable pour
les néanderthaliens, à la suite d'une erreur
d'un géologue. Et puis un jour, en 1937, on s'est
aperçu qu'ils dataient en fait de l'âge du
bronze1.
Etats-Unis
On l'a encore moins crié sur
les toits, même les bigfooters (les chercheurs de
bigfoot) l'ignorent, et pourtant... "D'après un télégramme
de New York paru dans le Times du octobre (1923) une
expédition de la Smithsonian Institution
dirigée par le Dr J. P. Harrington, a
découvert à Santa Barbara (Californie), deux
crânes humains pour lesquels une haute
antiquité est supposée. Ils sont dits bien
plus archaïques que l'Homme de Neanderthal. Cette
affirmation serait basée sur un front très bas
et une arcade sourcilière très
prononcée. La cavité de la bouche est
très large et les parois du crâne très
épaisses, deux fois l'épaisseur de celle des
anciens Indiens. (...) Après qu'une haute
antiquité leur ait été
attribuée, on les considère comme une
variété relativement moderne d'Indiens. Il est
significatif que les crâne de Santa Barbara
étaient associés à un des outils,
nasses à poissons, etc. très en avance
même sur ce qu'on peut associer à l'Homme de
Néanderthal..."2
Donc, pour ces braves chercheurs,
les outils "associés" sont plus importants que la
morphologie des restes. Et à aucun moment ils ne se
demandent si les propriétaires des os étaient
bien aussi les propriétaires des outils, et non pas
le gibier de ces derniers...
Découverte similaire dans le
Nebraska, en 19063. D'un
monticule artificiel ("mound", tumulus), on avait extrait
cinq squelettes nettement archaïques. "... des arcades sourcilières
épaisses et proéminentes, un front aussi bas
que celui de l'Homme de Néanderthal, une largeur
très faible au niveau des tempes,
s'élargissant rapidement vers l'arrière.
Longueur du crâne : 182 mm, largeur minimum : 93 mm,
largeur maximum : 160 mm. La mandibule, par sa forme et sa
dimension, est celle d'un homme moderne. Toutefois elle est
plus bien plus massive, surtout au niveau de la symphyse,
les points d'insertion des muscles sont plus
marqués..."
Ces curieux restes se trouvaient
à un niveau inférieur. Au-dessus, plusieurs
squelettes d'Homo sapiens parfaitement modernes. Toutefois,
l'ensemble de la sépulture étant manifestement
artificiel, tous devaient être relativement
contemporains. Là encore, nos auteurs n'imaginent pas
que les premiers auraient pu être chassés (ou
sacrifiés ?) par les seconds. En tout cas, il
s'agissait de populations radicalement différentes,
et qui néanmoins avaient coexisté pour le
meilleur ou plus probablement le pire, à une date
récente.
Australie
Il n'est pas inutile de
rappeler que les plus anciens restes vraiment sapiens
d'Australie ont au moins soixante mille ans. La
paléontologie a presque admis récemment, non
sans tiraillements (et on ne le crie pas sur les toits), la
découverte de restes proches d'Homo sapiens rhodesiensis (le "sapiens" est de plus en plus
contesté) ainsi que d'Homo soloensis, en Australie, datant de six mille à
vingt-cinq mille ans (Kow Swamp, Cohuna, Cossack, Nacurrie,
Coobool Crossing, Talgaï, Wilandra, etc.). Certains de
ces sites en renfermaient à eux seuls de nombreux
specimens. Voir par exemple A. G. Thorne et P. G. Macumber
"1972 discoveries of Late Pleistocene man at Kow Swamp,
Australia" dans Nature, n° 238. Voir aussi E
Genet-Varcin, "Les hommes fossiles", Boubée, 1979. Le
débat n'est pas clos, certains voulant y voir
malgré tout des Aborigènes. Leur argument est
que toutes les caractéristiques "archaïques"
(front fuyant, "crête sagittale", fortes arcades
sourcilières, parois épaisses du crâne,
mâchoires proéminentes avec de très
grosses dents : ils ne différent guère des
Homo erectus les plus anciens que par un crâne
plus spacieux à l'arrière et quelques
détails de la mandibule et de l'occiput) se
retrouvent, à un degré moindre,
diluées, chez les Aborigènes actuels. On peut
le retourner en supposant qu'il y a eu de nombreux
métissages yowie-aborigène, ce qui rend
parfaitement compte de la grande variabilité
morphologique des Aborigènes. Du reste, "en déchiffrant le code
génétique que porte l'ADN, Gribbin et Cherfas
(1982) ont attribué aux Aborigènes une double
origine (Homo sapiens et Homo erectus)..."4
Le plus beau (à ce jour et
à ma connaissance) : une calotte crânienne
incomplète, mais, entre autres d'après son
épaisseur, de la même famille assimilable
à Homo sapiens rhodesiensis. Elle a été
trouvée à Maré (la plus orientale des
Iles Loyauté), et datée de 1680 +/- 80
après J.C.5
Jean Roche
Notes
1 Plus de détail chez Boris
Porchnev et Bernard Heuvelmans, "L'Homme de
Néanderthal est toujours vivant", Plon, 1974.
2 Nature, 112:699, 1923,
cité par William R Corliss, "Ancient Man : a handbook
of puzzling artifacts", 1980 (ma traduction).
3 E H Barbour et H Ward, in
Science, 24:628-629, 1906, cité par William R
Corliss, opus cité.
4 John Gribbin et Jeremy Cherfas,
"The Monkey Puzzle", Bodley Head, 1982, cité par
Michel Charleux in "Australie noire, les Aborigènes,
un peuple d'intellectuels", p. 72. Autrement, Paris,
1989.
5 Voir E Dubois, article "Le
peuplement du Pacifique", La Recherche, n°74,
1977.
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