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Les incrédules vont répétant qu'il s'agit d'un mythe. Sommes-nous incapables de "les" admettre et les reconnaître parce que nous en faisons un mythe ? C'est la principale explication avancée par Dmitri Bayanov. Il a livré en 1982, dans ISC Newsletter quelques réflexions sur cette question du mythe : "...Heinrich Schliemann, se basant sur les textes fabuleux des anciens grecs, a confronté le monde avec la réalité de Troie (...) Bien sûr on ne peut fonder la réalité des hominoïdes reliques sur le seul folklore, mais à l'inverse on ne peut la refuser seulement sur de telles références (...). Quand un ethnographe russe du dix-neuvième siècle disait que les longs seins de la femme sauvage avaient été fabriqués par des paysans ignorants pour symboliser de fortes précipitations, il ne faisait que projeter sa propre ignorance et ses propres fantasmes sur ses informateurs." (ISC Journal, vol III, 1983). Bayanov relève aussi, en se référant au chercheur américain Wayne Suttles, à propos du Sasquatch, que bien des ethnographes ont recueilli des informations intéressantes sur cet être auprès des Indiens. Mais ils n'en ont pas fait état, non par mauvais vouloir apparemment, mais parce qu'ils ne savaient pas comment les cataloguer. Pour eux c'était une question de limite, de no man's land invivable, non pas seulement entre l'humain et l'animal, mais aussi entre la réalité et l'imaginaire : trop réalistes, et pourtant pas assez crédibles, ces géants velus. Donc, trop ou trop peu mythiques pour qu'on en parle. Dans l'antiquité classique gréco-romaine, les hommes sauvages et velus étaient appelés satyres, faunes, sylvains, pans, silènes, etc. Et ils n'ont pas toujours été représentés avec des cornes ou des sabots de boucs (il est facile d'expliquer au moins les pieds de chèvres : il s'agit d'êtres particulièrement agiles en milieu rocheux... comme les chèvres, d'où l'expression "pieds de chèvres" comme on parle de "pied marin", et qui aurait été ensuite prise au pied de la lettre, c'est le cas de le dire). Certaines représentations évoquent irrésistiblement les signalements actuels d'HR, la plus frappante étant une coupe phénicienne. Pour tout embrouiller, il arrive que des cryptozoologues convaincus fassent mine, avec les meilleures intentions d'ailleurs, de considérer leur sujet comme mythique. Dans le numéro de juillet-août 1977 du magazine "La Recherche", deux auteurs, Eric Buffetaut et Pascal Tassy, paléontologues réputés de l'université de Paris VI, et membres de l'International Society of Cryptozoology, se sont livrés à un exercice de style acrobatique. Ils voulaient présenter le problème général des HR de la façon la plus rigoureuse et documentée possible, en incitant un maximum de lecteurs à y croire et à s'y intéresser. Mais en même temps ils laissaient entendre qu'eux-mêmes, les auteurs, n'y croyaient pas, ou si peu. Car pour introduire un tel sujet dans une feuille aussi "sérieuse", fût-ce un numéro estival, le scepticisme au moins apparent était de rigueur. Alors ils se sont faits les avocats du Diable, ont mis de côté leurs convictions, et accommodé le mot "mythe" à toutes les sauces : "...Il est intéressant de noter que les progrès de la zoologie et de la paléontologie (...) ont donné une nouvelle vie au mythe de l'homme sauvage. Ainsi, c'est le développement des sciences de la nature qui, d'une certaine manière, donne un support nouveau à un mythe pouvant avoir pour origine une mauvaise interprétation des grands singes lorsqu'ils furent découverts. D'autre part, la pérennité du mythe ne peut guère surprendre, car les frontières zoologiques de l'humain sont toujours un objet de fascination.(...) Mais n'est-il pas des mythes qui valent certaines réalités ?" (souligné par moi, bien sûr). A quoi on peut répondre que déduire la non-existence du fait qu'il y a mythe, c'est de la tautologie. Et le refus de croire à quelque chose qui existe est aussi répandu, aussi irrationnel, aussi dévastateur que le besoin de croire à quelque chose qui n'existe pas. L'argument du mythe est à double tranchant... mais il fallait bien amadouer le comité de rédaction de "La Recherche". Par ailleurs, l'article est rempli d'arguments objectifs positifs qui contredisent formellement l'idée d'un pur mythe, même si à chaque fois on esquisse une autre explication possible. L'obsession du mythe peut
entraîner à dire des bêtises. En 1984,
l'assemblée générale de l'International
Society of Cryptozoology s'est tenue à Paris. Un des
participants, non membre de cette organisation à
l'époque mais qui en avait eu vent par votre
serviteur, et par ailleurs bon connaisseur du
problème embrouillé des monstres lacustres, a
mobilisé la parole un long moment pour soutenir qu'on
ne prend jamais assez en compte l'aspect "mythe". Quelques
heures plus tard Jacqueline Roumeguère-Eberhardt a
évoqué un certain arc attribué à
un homme sauvage, et qu'aucun sapiens ne parvenait à
bander. Notre mythologue s'est écrié que, bien
sûr, c'était une resucée de l'arc
d'Ulysse. A quoi l'intervenante a calmement répondu
que cet arc, elle l'avait vu.
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