En 1996 est sorti l'ouvrage "In the
footsteps of the Russian Snowman" (Crypto-logos, Moscou, 240
pages bien illustrées), écrit pour la plus
grande partie, et compilé pour le reste, par Dmitri
Yourévitch Bayanov. Ce dernier a été un
des principaux équipiers de Boris Porchnev
(1905-1972), et on peut le considérer comme son
successeur. Tout en ne manquant jamais de saluer la
mémoire de son maître, Bayanov ne craint pas de
s'en démarquer sur des points essentiels (en refusant
l'abattage d'un "specimen", en refusant de considérer
les hommes sauvages comme de simples
animaux...).
Un ouvrage
ambitieux
Le titre est un peu inexact : il ne
s'agit pas seulement de la déjà immense
Russie, mais aussi d'autres républiques
ex-soviétiques : Caucase, Asie centrale... et Ukraine
(un cas en Crimée !). Comme aux Etats-Unis,
l'extension géographique des observations est
affolante. Pulvérisé, le vieil argument
rassurant selon lequel il s'agirait toujours de
régions "reculées". Le 6 novembre 1992, un
géant velu était observé par un
témoin "digne de foi" à... 37
kilomètres de Moscou. Mais c'est qu'en Russie, comme
en Amérique, il faut prendre en compte le
caractère particulièrement nomade des
hominidés reliques, qui bien souvent ne restent que
quelques jours dans une région où on n'en
avait plus vu depuis des décennies. Et
peut-être bien qu'ils s'adaptent de mieux en mieux
à notre voisinage, et que contrairement à
toutes les idées reçues leurs effectifs
s'accroissent. Ce caractère nomade prend en
défaut le fameux axiome de Bernard Heuvelmans selon
lequel un animal inconnu ne l'est jamais des populations
vivant dans la même région (aucun animal connu
n'est à ce point nomade).
Cela donne des situations
curieuses. 1988, le chercheur Leonide Yerchov rentre chez
lui, à Mourmansk, d'une expédition au
Tadjikistan (4000 kms). Il repart aussitôt, mais n'a
plus que 150 kms à parcourir pour enquêter sur
des observations répétées (dix jours
d'affilée) d'un même géant velu, par de
nombreux témoins, dans la presqu'île de
Kola.
Il est peu question de biologie
dans cet ouvrage. Pas d'études fouillées sur
l'écologie, l'éthologie, etc. De même,
on ne trouve pas de discussions étendues sur
l'apparentement éventuel à tel ou tel
hominidé fossile connu (contrairement à
Porchnev qui ne voyait que des néandertaliens). C'est
surtout le côté humain qui retient l'auteur.
Certains le regretteront peut-être au nom de la
sacro-sainte "crédibilité" que l'on
prétend faire découler de la rigueur et de la
précision. J'estime quant à moi qu'il n'y aura
crédibilité que si on explique pourquoi les
recherches piétinent à ce point. Ce n'est pas
l'existence par elle-même de ces êtres qui est
incroyable, c'est leur incognito. Or les récits
rassemblés par Bayanov sont de ceux qui permettent
d'esquisser des réponses.
Notre
repas...
Le cas suivant est sans valeur pour
la connaissance des hominidés reliques (circonstances
imprécises, au mieux de seconde main, pas de
description physique ni de comportement), mais hautement
significatif, et aussi atroce, à un autre niveau.
Cela se passe au début du vingtième
siècle, aux confins du Kazakhstan et de la Chine. Un
Kazakh vient d'acquérir un fusil de chasse. Il
s'entend avec des amis chinois qui n'en ont pas et feront
office de rabatteurs. Notre homme s'installe, attend. Pas de
gibier, mais il voit une femme sauvage affolée et son
enfant, qu'il laisse passer. Arrive un Chinois, furieux, qui
lui demande : "Pourquoi n'as-tu pas tiré ?
- Tiré sur quoi ? Je n'ai pas
vu de gibier.
- Devant toi, à
l'instant.
- C'étaient une femme et son
enfant ! Je ne tire pas sur les gens !
- C'était du gibier, et du
très bon. Hier tu as partagé notre repas. Il
était préparé avec la graisse de ce
gibier..."
Coups de feu
Egalement plus que significative la
mésaventure de Nikolaï Avdeyev, en 1986. Ce
chercheur participe d'abord, l'été, à
un groupe d'enquête dans l'extrême nord de
l'Oural. La population est globalement très hostile
à ces recherches, mais ils réussissent
à convaincre quelques jeunes de coopérer et
obtiennent plusieurs témoignages de première
main, récents, sur les yagmorts (les
hommes-des-neiges locaux). Avant de rentrer chez lui,
à Tchéliabinsk, Avdeyev a donné son
adresse à un de ses informateurs, dont il a fait un
ami.
Un mois plus tard, il en
reçoit une lettre, qui le fait retourner d'urgence,
non sans d'énormes difficultés pour rassembler
l'argent nécessaire et se libérer de son
travail. Car son correspondant vient de voir toute une
famille de yagmorts entrer dans une grotte qui lui sert
manifestement d'abri permanent. Une longue marche conduit
les deux hommes devant cette grotte, un soir d'octobre. Ils
trouvent et moulent une trace fraîche de yagmort, se
disposent à passer la nuit devant leur feu de camp.
C'est alors qu'un coup de feu éclate tout
près, puis plusieurs. Une balle renverse la gamelle
de leur repas. Ils s'abritent comme ils peuvent. L'ami
d'Avdeyev demande : "Que voulez-vous ?
- Fichez le camp d'ici, crie une voix
dans l'ombre, vous n'avez rien à faire à cette
grotte.- D'accord, nous
partons..."
Et que faire d'autre ? Avdeyev apprend
que les yagmorts sont farouchement protégés
par les gens du coin, pour des raisons plus ou moins
religieuses. "Ils ne nous dérangent pas, nous ne les
dérangeons pas..."
Sans prétendre juger qui que
ce soit, il n'est peut-être pas indifférent de
mentionner que Nikolaï Avdeyev était partisan
d'abattre un yagmort.
Banlieue de
Saratov
Moins dramatique, cocasse, mais
aussi frustrant. En septembre 1989, dans la région
urbanisée de Saratov, sur la Volga, un groupe
d'hommes sauvages de passage a été
signalé par de nombreux témoins. Parmi ces
derniers, une équipe de quatre hommes chargés
de surveiller un immense verger. Au cours de leur ronde, ils
tombent sur un homme velu. Cet être se trouve alors
dans un état de conscience très particulier,
puisqu'il se laisse faire et se montre même
affectueux. Nos quatre héros réussissent
à le ligoter (ils savent faire) et à le jeter
dans le coffre de leur auto. Un homme-des-neiges
capturé ! Ils téléphonent à la
Milice, où quelqu'un leur répond sans le
moindre enthousiasme : "Gardez-le, nous verrons ça
demain..." Ils se disposent à faire ainsi, reprennent
la route. Mais peu après, tout change. Le prisonnier
s'agite, brise ses liens, paraît tout près de
démolir le véhicule. Ils ne voient
bientôt d'autre solution, pour préserver leur
bien le plus précieux, que de relâcher leur
prisonnier. Il faudra désinfecter la voiture pour en
éliminer la puanteur.
Le commentaire de Dmitri Bayanov :
"Il semble qu'à chaque occasion qui se
présente d'apporter un point final à la
question des hommes sauvages, apparaît
inévitablement et presque surnaturellement la
malchance. L'explication prosaïque est que pour les
personnes concernées l'intérêt de garder
un specimen, mort ou vif, ne saute pas aux yeux, tandis que
les inconvénients et les ennuis immédiats ne
sont que trop évidents."
Homme ou
animal
L'auteur ne se contente pas
d'accumuler de tels récits. Il pose nettement les
problèmes éthiques, qui ne se limitent pas au
problème du droit ou non de tuer un sauvage velu. La
question est aussi posée des risques courus par les
chercheurs. On assiste à une discussion
passionnée suscitée par l'initiative (trop?)
courageuse d'une jeune participante ukrainienne à une
expédition au Tadjikistan. Alors qu'un géant
velu rodait tous les soirs autour du campement sans vraiment
se montrer, elle s'était isolée de nuit pour
mieux l'attirer, et l'avait vu s'approcher, puis
repartir.
Sur la question de
l'humanité ou non des hominidés reliques,
Bayanov défend depuis longtemps une position "de
compromis", en leur attribuant un statut ni humain, ni
animal, mais "superanimal", rejoignant l'Américain
Jim McClarin qui parle, lui, de "manimal".
Notre auteur n'élude pas un
aspect délicat. Si, dans la majorité des cas,
les hommes-des-neiges paraissent avoir un comportement
purement animal (au moins à nos yeux), certaines
exceptions vont loin. En 1974, dans l'Oural, un adolescent a
vu de nuit un couple de velu :
- frotter de façon
répétée des cailloux pour en tirer des
étincelles,
- sortir quelque chose d'une sorte de
boîte en écorce de bouleau,
- se parler (bien sûr, pas dans
une langue connue du témoin).
Bayanov rapproche ce dernier point du
témoignage classique du Canadien Albert Ostman,
discrédité notamment parce que lui aussi avait
prêté le don de la parole à sa famille
de sasquatches.
Marie-Jeanne Koffmann (dont les
travaux sont bien sûr abondamment cités) a
découvert que les almastys du Caucase se
revêtent couramment de manteaux volés à
des bergers, et sont aussi capables de raviver un feu de
camp abandonné. A noter que Boris Porchnev, dans
"L'Homme de Néanderthal est toujours vivant", a
littéralement censuré ces
éléments (puisqu'il cite par ailleurs in
extenso certains témoignages où ils
apparaissent, celui de Kochokoiev par exemple pour le
vêtement).
On aura compris que cet ouvrage de
240 pages est une exceptionnelle mine non seulement
d'informations, y compris beaucoup de données
antiques ou médiévales, mais aussi de sujets
de méditation.
La traduction française ajoute un certain nombre d'épisodes. Encore disponible sur Amazon, etc.
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