I L'affaire Iceman
L'"affaire
Iceman" est sans doute la plus connue, la plus lamentable aussi, de
tout le dossier des hominidés ou hominoïdes
inconnus (Yéti, Bigfoot, Almasty, Yowie, etc.). Pendant des
années, le cadavre congelé d'un tel
hominidé velu a été montré
à travers les USA dans une roulotte foraine. Il n'a pu
être examiné et photographié
qu'à travers la glace. Cela n'a permis aucun consensus, ni
au sein de la communauté cryptozoologique, ni a fortiori au
sein de la communauté scientifique en
général.
Ceux qui
croient à l'authenticité de la pièce
admettent généralement, en gros, la
thèse de Bernard Heuvelmans1 (qui a pu mener l'étude la plus
approfondie) : l'homme congelé, un néandertalien
manifeste, venait du Vietnam, où le forain, Frank Hansen,
avait servi comme aviateur avant 1965.
II
Quelques événements longtemps sans rapport
Ne craignons pas de
"remonter au déluge", cela s'ordonnera dans la suite.
1894 et 1906. On
découvre dans le loess du Nebraska des ossements apparemment
néandertaliens, récents2. On les considère comme le
résultat de malformations individuelles.
1950. Le
Yéti devient "à la mode" après la
photographie d'empreintes par Eric Shipton, près de
l'Everest.
1958. Le
Bigfoot, ou Sasquatch, le mystérieux géant velu
d'Amérique du Nord, devient "à la mode"
après les observations de Jerry Crew à Bluff
Creek, en Californie du nord.
A partir de
1958, l'académicien russe Boris Porchnev proclame que le
Yéti, le Bigfoot, et de multiples êtres similaires
à travers l'Eurasie, sont des néandertaliens3.
1967.
Iceman entre dans l'actualité, discrètement
d'abord.
Juillet 1970. Après diverses
péripéties déroutantes, Hansen publie
un article4 où il affirme avoir
tué pour se défendre Iceman, au cours d'une
partie de chasse dans le nord du Minnesota. Absolument personne ne le
croit. Outre qu'il s'est déjà beaucoup contredit,
outre qu'un bigfoot dans cette région est impensable
à cette époque, outre qu'Iceman ne ressemble pas
au signalement classique du Bigfoot, le récit comporte des
détails aberrants. Ainsi, le futur congelé et
deux de ses congénères dévoraient un
cerf d'une manière incroyable, jamais vue chez aucun
prédateur : ils lui avaient ouvert le ventre, en
avaient sorti les tripes, et "écopaient le sang".
1972. John
Napier publie son livre classique5 sur le Bigfoot, où il
suggère qu'il y pourrait y avoir deux espèces
bien différentes de bigfoots, au vu des
témoignages et surtout des moulages d'empreintes. Il n'est
pas suivi.
1978. Un
homme voit un bigfoot tuer et emporter un cerf dans le Montana6 . On ne le saura
que plus tard.
Fin des
années 1970. On signale de plus en plus de bigfoots dans le
Nord-Est, en majorité dans une zone à cheval sur
la Pennsylvanie et l'Ohio (donc une région
particulièrement incroyable vu la densité de la
population, mais les forêts et marécages n'y
manquent pas)7 .
1992-1994.
Matt Moneymaker8 (sûrement le plus dynamique des
"bigfooters" de la deuxième
génération) reçoit de ses informateurs
dans l'Ohio (où lui-même réside) des
rapports insistants sur des cerfs tués, ou leurs
dépouilles dérobées à des
chasseurs, par des bigfoots. Il enquête, et retrouve de
nombreux cadavres de cerfs (dans l'Ohio, la Pennsylvanie, le
Wisconsin...). Ces cadavres n'ont apparemment pas
été dévorés. Ils sont
éventrés et les tripes en ont
été sorties, mais non consommées...
Moneymaker est bien près de croire à une
explication "ufologique" ou "paranormale".
C'est son
épouse, médecin et fille de
vétérinaires, qui la première a
l'estomac assez solide pour y regarder de plus près. Le foie
des cerfs a été prélevé.
Notre chercheur s'avise que cela se passe toujours en automne. Le foie
est la meilleure source possible de graisses et de vitamines
essentielles pour affronter l'hiver.
C'est en automne que
Hansen a situé sa fatidique partie de chasse. L'extraction
manuelle du foie ne peut que ressembler visuellement à un
"écopage du sang" (s'il ne s'agissait que de boire le sang,
il serait absurde de jouer les Jack l'éventreur). Un
détail diverge légèrement : c'est
seulement dans le récit de Hansen que les entrailles sont
dispersées à travers toute une
clairière. Partout ailleurs, elles sont
entassées. Mais on peut supposer que les trois
créatures se sont exceptionnellement disputées ou
amusées (elles en auraient d'ailleurs perdu la
légendaire prudence des bigfoots, puisqu'elles se sont
laissées surprendre par un chasseur).
Les bigfoots de
l'Ohio et des autres états riverains des Grands Lacs sont
souvent décrits comme plus "humains" d'aspect que le
classique Bigfoot de l'ouest à tête de gorille. Le
terme spécifique de "grassman" tend à les
designer. Certains croquis de témoins rappellent
très fortement "Iceman". L'environnement du nord du
Minnesota est le même que celui de ces "grassmen",
forêts et marécages, en bien moins
peuplé.
1995 Hansen
déclare dans une interview à Fortean Times. Il
explique que le "propriétaire", a
récupéré le cadavre et qu'il ne
souhaite pas devenir "l'homme qui a démoli le
récit de la Création dans la Genèse".
2003, décès de Hansen, sa famille explique que le
"propriétaire était le célèbre acteur James
(Jimmy) Stewart, également décédé.
III Un peu de
psychologie pour conclure
Revenons donc à la "version Saga". Bien
sûr, on peut concevoir que Hansen se soit inspiré
d'une aventure arrivée à quelqu'un d'autre, et
qui n'aurait été connue que localement. Mais
enfin, la balance penche en faveur de l'authenticité. Les
autres versions qu'il avait proposées sur l'origine du
cadavre (un iceberg, Hongkong, un fournisseur local...)
étaient moins circonstanciées. Et surtout, elles
n'ont reçu aucune espèce de confirmation.
Comment
expliquer l'attitude générale de Hansen, ses
voltes-faces, ses contradictions multiples ? Heuvelmans le
décrit comme un "homme simple qui vit très
simplement", cultivé, aimable, parfois farfelu, mais
apprécié de son entourage. Ni une crapule, ni un
malade mental. Un homme sans histoire, ou plutôt un homme
d'une seule histoire ! Un "lunaire"9. Il avait une peur panique d'être
poursuivi en justice, et ce n'était pas un délire
(la seule détention non autorisée d'un cadavre
humain pouvait le conduire en prison). Il proposait de céder
son exhibition à une condition expresse : une garantie
d'impunité... qu'il n'a jamais obtenue.
Surtout,
on ne côtoie pas impunément un être,
mort ou vif, qui n'est ni totalement humain ni vraiment animal. Il y a
là un "double bind"10 redoutable . Les dossiers des
hominidés inconnus sont remplis de gens qui ont souffert de
troubles mentaux, ou au moins d'angoisse, après en avoir
simplement observé un, sans autre complication. Alors ce
pauvre Hansen...
Mais
précisément, ce "double bind" n'est-il pas LA
CAUSE ESSENTIELLE de l'échec chronique des recherches dans
ce domaine, de cette sorte de névrose d'échec
collective (je ne prétends pas y échapper) qui
frappe les chercheurs de yétis, bigfoots, etc. les
empêchant de fournir enfin LA PREUVE qui
décrocherait le consensus de la communauté
scientifique ?
Jean Roche
Notes
1 Voir le classique :
Boris Porchnev et Bernard Heuvelmans "L'homme de Neandertal est
toujours vivant", Plon, 1974.
2 Idem, p 147.
3 Idem,
première partie.
4 "Saga", New York,
juillet 1970.
5 "The Yeti and
Sasquatch in myth and reality", Dutton and co, 1972.
6 Cryptozoology, vol
11, page 111.
7 Voir le classique :
John Green, "Sasquatch : the apes among us", Hancock house, Canada,
1981.
8 Toutes les
informations qui suivent ont été recueillies sur
son web, facile à trouver en utilisant comme moteur de
recherche "cryptozoology", "sasquatch", etc.
9 Hansen correspond
bien, par son visage, à cette catégorie de la
physiognomonie traditionnelle comme de la morpho-psychologie moderne.
Le "lunaire" est rêveur, pas courageux ni combattif, mais
créatif, plein de ressources... notamment pour se tirer de
situations critiques par les biais les plus inattendus.
10
Un double bind, c'est le fait d'exiger de la volonté d'une
personne quelque chose qui n'en dépend pas, ou plusieurs
choses inconciliables. Si cette personne intériorise
durablement l'exigence, les conséquences sont redoutables.
Un enfant, par exemple, qui intériorise l'injonction
d'être heureux alors qu'il se sent malheureux deviendra
dépressif chronique. L'injonction de croire ce dont on peut
constater la fausseté fait les schizophrènes.
L'injonction de s'endormir sur commande fait les insomniaques. Voir les
travaux de l'école de Palo Alto (Bateson, Watzlawick, etc.).
Nous avons tous intériorisé, très
tôt, des normes de comportement et une éthique
à respecter vis-à-vis des autres humains, et
d'autres normes et une autre éthique vis-à-vis
des animaux.
Jean Roche
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